Le film Matrix est profondément initiatique, jusque dans ses moindres détails (le 1er volet de la trilogie, seulement). On peut d’ailleurs y voir une forme moderne très réussie de la célèbre allégorie de la caverne, de Platon, la matrice représentant ici la caverne, le monde illusoire.
Parmi les excellentes trouvailles de ce film figure le personnage très ambigu de Cypher.
Cypher, c’est celui qui va trahir les héros. Celui qui décide qu’il préfère retourner dans la matrice, dans ce monde mensonger et artificiel, dans une vie illusoire, plutôt que de rester dans la réalité, dans le monde vrai, qu’il trouve trop sombre, trop dur.
Dans sa réplique la plus mythique, en négociant avec l’ennemi dans la matrice, il affirme :
« C’est drôle, je sais que ce steak n’existe pas, je sais que lorsque je le mets dans ma bouche c’est la Matrice qui dit à mon esprit que ce steak est saignant et délicieux… Au bout de neuf ans [hors de la matrice], vous savez ce que j’ai compris ? Les ignorants sont bénis ! »
Ce que je nomme le syndrome de Cypher, c’est l’attitude qui consiste à sacrifier la liberté au confort. A sacrifier l’exigence que demande la vérité à la facilité de l’ignorance. A préférer le conformisme à l’individuation, et les rêves agréables à une vie éveillée authentique.
En 1925, Stefan Zweig écrivait dans un bref essai de 23 pages, L’uniformisation du monde, que l’on ne peut rien contre une société qui promet à chacun le confort sans effort. Presque un siècle plus tard, cet essai semble terriblement visionnaire.
Ne succombons pas au syndrome de Cypher.
Oui, la vérité est parfois dure, exigeante. Mais comme le dit l’évangile, « La vérité vous affranchira ». Elle seule nous rend libres. Cette liberté a forcément un prix, comme le relevait Thomas Jefferson : « On ne peut pas être libre et ignorant ». Une liberté que nul ne peut nous donner, mais qui doit se conquérir vaillamment, jour après jour, fût-ce parfois à contre-courant de la majorité.
Faisons mentir Zweig. Laissons Cypher retourner seul dans la matrice. Cherchons la vérité. A tout prix.