"Jean Valjean" : un message toujours actuel

· L'Esprit en Eveil

Je suis allé voir Jean Valjean hier au cinéma et grand bien m'en a pris. J'ai trouvé le film remarquable à tous points de vue. On oublie trop souvent que Les Misérables est un livre initiatique, au plein sens du terme, d'une profondeur spirituelle rare. Et ces qualités ne peuvent vraiment se développer que dans un temps long, lent.
C'est précisément ce que fait admirablement ce film.
Un film entier, donc, pour faire pleinement découvrir qui est Jean Valjean, mais aussi qui est l'évêque de Digne qui change son destin, et comment la destinée de ce dernier a elle-même été bouleversée autrefois par la rencontre avec un ermite. Pour découvrir, en quelque sorte, les influences invisibles qui permettent à Jean Valjean de devenir celui que l'on sait.
Là où la dernière version du Comte de Montecristo est tellement condensée qu'elle échoue à transmettre le message du livre, le film Jean Valjean nous fait vraiment pénétrer en profondeur dans cette histoire mythique… et donne envie de voir la suite dans un ou deux films de même facture.

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J'ai beaucoup apprécié de retrouver de nombreux extraits verbatim des Misérables, dans ce film, et notamment celui-ci :

"Un nuage s'est formé pendant quinze cents ans. Au bout de quinze siècles, il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre."

Je l'avais cité dans mon livre "Le Tigre et l'Araignée, les deux visages de la violence", car il illustre à merveille les deux polarités de la violence : l'une arachnéenne, qui agit lentement, dans la durée, de façon imperceptible, la lente accumulation invisible d'une charge ; l'autre (le Tigre), qui se décharge de façon rapide, brutale, très visible et très sonore.

Dans Les Misérables, Hugo n'a de cesse de mettre en évidence avec ses mots cette double polarité, pour dénoncer la stigmatisation de la violence visible (le pain que vole Jean Valjean), au détriment de celle invisible (la violence cachée de la société).
Par exemple :

"Cette âme est pleine d'ombre, le péché s'y commet. Le coupable n'est pas celui qui fait le péché, mais celui qui fait l'ombre."

Il souligne là la responsabilité sociale et étatique dans le maintien de l'ignorance, de la pauvreté et la misère. Au lieu d'accuser "le virus" (le criminel), il invite à prendre en compte le terrain (social) déséquilibré qui en provoque l'émergence. Car rien ne changera si l'on ne change pas les conditions mêmes qui engendrent la violence visible.

Autre extrait du même genre :

"Détruire les abus, cela ne suffit pas ; il faut modifier les mœurs. Le moulin n’y est plus, le vent y est encore."

A nouveau, Hugo use d'une métaphore qui illustre les deux polarités : le moulin (visible) et le vent (invisible). Parce qu'on ne voit plus le moulin tourner, on croit le vent retombé, alors qu'il souffle toujours.

A regarder Jean Valjean au cinéma, on ne peut s'empêcher de faire la comparaison avec aujourd'hui, 163 ans après la parution des Misérables.
Les choses ont-elles vraiment changé ?

Hugo parlait d'un nuage qui s'est formé durant 1500 ans, avant que la Révolution française n'en décharge la foudre. Ne laisse-t-on pas aussi depuis trop longtemps s'accumuler à nouveau un nuage sur nos têtes, en négligeant à ce point tout ce qui relève de l'humain, tout ce qui favorise la fraternité, la paix, l'entente entre nous ?

Hugo combattait l'illetrisme. Mais aujourd'hui c'est l'analphabétisme relationnel et émotionnel, à la racine des violences diverses dont regorgent les médias, qu'il faudrait éradiquer à son tour. Le même vent fait encore tourner d'autres moulins.

Quant à l'ombre que dénonce Hugo - la pauvreté, avant tout, mais aussi l'ignorance (qui perdure sous des formes nouvelles) - l'écart abyssal qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres souligne chaque jour davantage combien elle est loin d'avoir disparue.

Aujourd'hui, on le voit bien, le véritable changement auquel nous aspirons ne viendra pas d'en haut, de l'Etat, des élites. Ils ont semble-t-il d'autres priorités. C'est à chacun, chacune d'entre nous de le mettre en oeuvre, à son échelle, à son niveau, dans sa famille, son quartier, son entourage.

Les Misérables ont justement le mérite de nous rappeler ce qu'une seule personne est capable de faire, pour le bien de tous, là où les médias - à force de nous présenter tout ce qui ne va pas dans le monde - finissent par développer un sentiment d'impuissance qui nous fait oublier ce que nous pouvons faire très concrètement… comme le met en évidence le formidable film "Demain", dont la bande-annonce précédait Jean Valjean, hier au ciné. En effet, il ressort ce soir même au cinéma, avec un débat en distanciel avec l'un des deux réalisateurs, Cyril Dion (l'autre étant Mélanie Laurent). On y voit de très nombreux exemples, dans le monde entier, de ce que parviennent à faire des gens comme vous et moi, pour changer véritablement les choses.

Alors, si vous ne savez pas quoi faire, allez puiser de l'élan et de la motivation pour continuer d'oeuvrer à l'avènement d'un monde meilleur, dans ce documentaire !

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