J'ai eu la grande joie de publier et de préfacer le livre remarquable de Charles Eisenstein "Notre coeur sait qu'un monde plus beau est possible" chez Jouvence, que je vous recommande vivement si vous ne l'avez encore lu (il est paru en poche, désormais).
Hier, Charles a mis en ligne un petit film de 3 min, The Fall (en français : la Chute) sans paroles que vous pouvez regarder ci-dessous, et dont il livre aujourd'hui une interprétation très riche, dont j'ai fait une traduction automatique corrigée pour vous, en-dessous de la vidéo :
Interprétations de la Chute
Mon court métrage récemment publié, La Chute, est une parabole métaphysique née de mon angoisse à l'époque de Covid. La folie qui a entouré la pandémie a mis en lumière l'omniprésence du mal dans le monde civilisé, ce qui m'a souvent amené à me demander : "Mais qu'est-ce que je fiche ici ? Qui m'a envoyé sur cette planète de fous ?"
Ce film apporte une réponse à cette question.
C'est le même sentiment qui fait que tant de gens hésitent aujourd'hui à avoir des enfants. Pourquoi mettre un enfant dans un monde pareil ?
La folie et les souffrances infernales inutiles de ce monde sont devenues tellement normales que, soit nous en sommes à peine conscients, soit nous les considérons comme allant de soi. Lorsque l'on en prend conscience, cela semble si monstrueux, si inconcevable, si intolérable que l'on ne peut comprendre comment d'autres trouvent cela si facilement normal. Il en résulte un profond sentiment d'aliénation.
Depuis un an ou deux, lorsque quelqu'un me fait remarquer tel ou tel aspect de l'injustice ou de la folie du monde, j'ai pris l'habitude de faire la remarque suivante : "Eh bien, c'est ainsi que les choses se passent dans le sixième ou le septième cercle de l'enfer". Le sujet peut être une horreur pure et simple, comme les "usines à bébés" au Nigeria où des adolescentes, généralement handicapées mentales, sont emprisonnées, violées à plusieurs reprises pour faire des bébés qui sont ensuite vendus à des trafiquants d'êtres humains ou démembrés pour en prélever les organes. Il peut aussi s'agir d'un mal plus discret : les enfants accros à leurs écrans vidéo, les taux de césarienne de 90 % dans certains endroits, la dégradation de la nourriture et des sols, la laideur omniprésente des bâtiments modernes, le mensonge des discours politiques.... l'enfermement de la vie exubérante dans les cases de la modernité. C'est ainsi que les choses se passent ici. En deux générations, le "rayon d'action" des enfants américains est passé de 5 kilomètres à quelques mètres. Mais je ne peux pas dire que la vie soit pire qu'à l'époque de l'esclavage, des bûchers, des pieds bandés ou de la torture publique. Il est juste difficile de dire qu'elle soit meilleure. D'où ma boutade résignée sur le sixième ou le septième (je ne sais plus lequel) cercle de l'enfer.
Si le lieu de la souffrance change à travers les âges, il ne change guère en termes d'ampleur ou d'intensité. Néanmoins, beaucoup d'entre nous – et même, à un certain niveau, chacun d'entre nous – comprennent secrètement qu'il existe un moyen d'échapper à ce qui semble être l'inaltérable "condition humaine". Non pas un moyen de la transcender, mais un moyen de la transformer, aussi désespérée qu'elle puisse paraître. De plus, chacun d'entre nous a un rôle à jouer dans cette transformation.
Dans le film, des personnes sages et lumineuses viennent de loin pour contempler un spectacle troublant, un gouffre qui s'est ouvert dans la terre. Il s'agit bien du puits de l'enfer. Ils se rassemblent autour du puits, en se tenant par la main, et le contemplent. Ce qu'ils voient les horrifie au-delà de tout ce qu'ils peuvent imaginer. Rien dans leur expérience directe n'a jamais suggéré qu'une telle misère puisse exister. Ce qu'ils voient, nous le reconnaissons comme des scènes de cette Terre. Les gens autour de la fosse se donnent la main en signe de solidarité. Ils se regardent les uns les autres. Ils comprennent ce qu'ils doivent faire. Ils hochent la tête en signe d'accord, de compréhension commune. Leurs visages horrifiés, choqués, en larmes, se détendent alors et deviennent sereins. Ce sont des anges, porteurs d'amour, de paix et de guérison dans le puits de l'enfer.
Ils tombent dans le puits en se donnant la main, abandonnant le beau monde qu'ils quittent pour venir au monde dans celui-ci.
Cette histoire redéfinit la conception théologique de la Chute. Ce n'est pas que nous nous soyons rebellés contre Dieu et que nous ayons été chassés des cieux. Ce n'est pas que nous soyons ici en guise de punition, pour expier nos fautes karmiques accumulées. Ce n'est pas non plus que le mal s'empare de l'univers, corrompant l'un après l'autre les domaines de la Terre et de l'au-delà. Nous sommes ici délibérément, et nous sommes ici dans un but précis.
La réponse à la question "Qui m'a abandonné sur cette planète de fous ?" est : "C'est moi".
Mais nous ne sommes pas vraiment abandonnés non plus. Vous pouvez encore sentir le contact persistant de vos camarades sur vos paumes, avant que vous ne fassiez la chute. Vous pouvez, dans votre esprit, regarder à travers les voiles de l'enfer et voir davantage de personnes lumineuses rassemblées au bord de la fosse, qui comprennent la tâche que vous avez entreprise, qui sont confiantes dans votre capacité à l'accomplir et qui attendent votre retour.
La transformation de l'enfer ne signifie pas l'élimination de toute douleur, toute faim, toute violence ou souffrance, tout comme l'enfer lui-même -– du moins ce cercle-ci de l'enfer – n'est pas dépourvu de plaisir, de joie ni de beauté. L'enfer et le paradis s'interpénètrent pour créer la Terre du Milieu. La trame de la création est magnifique et mystérieuse, et un film comme le mien ne peut lui rendre justice. Bien qu'il s'agisse d'une parabole, sa vérité ne réside pas dans son interprétation. Elle est aussi dans la trame : de la musique, des images, de l'histoire. Prenez-le un peu trop au pied de la lettre, et vous pourriez croire que quelques-uns d'entre nous sont ici comme des sauveurs pour délivrer les masses de l'enfer. Ce n'est pas le cas. Les anges déchus ne s'incarnent pas dans certaines personnes seulement et pas dans d'autres. Ils s'incarnent en chacun d'entre nous. Vous portez en vous le souvenir de cette Chute par compassion. Je vous remercie tous de vous être joints à moi.
– Charles Eisenstein