Quand la prochaine bulle éclatera…

…serons-nous prêts ?

· L'Esprit en Eveil

Lorsqu’on nous parle d’une bulle qui éclate (Internet, subprimes, bulles spéculatives diverses, etc.), on se représente habituellement quelque chose de négatif, voire de catastrophique, avec des dégâts à la clé. C’est un peu comme quand on parle de « désillusion », terme qui semble avoir une connotation négative… alors qu’il signifie littéralement la fin d’une illusion, donc un retour à ce qui est vrai, à ce qui est réel. « La vérité vous rendra libres » : n’est-ce pas précisément ce à quoi nous aspirons ?

Il y a des bulles dont l’éclatement est une bénédiction, une libération, même si celui-ci s’accompagne tout d’abord de quelques souffrances. Il y a des désillusions – la plupart, en fait – qui sont de vrais cadeaux, même si leur emballage semble tout d’abord repoussant et nous donne envie de fuir. 

Aujourd’hui, précisément, une énorme bulle s’apprête à éclater. Un éclatement dont les conséquences pourraient être considérables et provoquer un bouleversement libérateur à l’échelle planétaire. À terme, en tout cas, comme nous allons le voir.

Il s’agit en effet d’une bulle très différente cette fois et qui – chose rare – semble concerner peu ou prou toute l’humanité. D’un point de vue métaphorique, on pourrait comparer cette bulle-là à la poche des eaux d’une femme enceinte, tant son éclatement pourrait être l’occasion d’une nouvelle naissance… 

Mais je vais trop vite en besogne. 

 

La bulle dont il est question ici est celle dans laquelle nous vivons. 

Nous croyons vivre dans « la réalité », mais en fait nous vivons dans une bulle psychique, une bulle médiatique, une bulle de représentations, d’informations, une bulle de suppositions, de croyances et d’histoires que nous croyons vraies. En réalité, une bulle d’illusions, sinon de mensonges, tellement la vérité y occupe peu de place. 

Dans cette bulle – ou plus exactement dans ces bulles enchâssées les unes dans les autres comme des poupées russes – nous avons une idée de qui nous sommes individuellement, une idée de ce qu’est l’être humain, de ce que sont la nature et le cosmos tels que les définit la science actuelle, nous avons une idée de ce que sont notre pays, notre civilisation et nos démocraties, une idée de ce que sont la santé, la maladie et la guérison, une idée de la vie et de la mort, et ainsi de suite. Nous prenons ces représentations pour la réalité, nous les croyons « objectives », vraies. 

Cette bulle psychique nous est tellement familière, nous y vivons depuis tellement longtemps en la croyant vraie, bien réelle, qu’il est probable qu’en lisant ces lignes certains se demanderont de quoi je parle au juste. N’oubliez pas, cependant, que chaque nuit nous rêvons et que ce n’est qu’à notre réveil que nous réalisons que « ce n’était qu’un rêve », comme on dit. 

On ne sait qu’on dormait qu’une fois réveillés. 

De manière analogue, la majorité d’entre nous ne réalisera pleinement dans quelle bulle artificielle nous avons vécu collectivement que lorsque celle-ci aura éclaté. « Eclaté », intéressant ce mot : c’est le même que pour parler de la vérité, justement. Lorsque la vérité éclatera, nous saurons dans quels mensonges nous avons vécu. Lorsqu’elle se révélera au grand jour, nous mesurerons l’obscurité que nous avions prise pour nos lumières. 

 

Pourquoi cette bulle éclaterait-elle prochainement, alors que nous y sommes installés depuis si longtemps ? Ce n’est pas la question qui m’intéresse ici. L’essentiel, en effet, est ailleurs.  

L’essentiel, c’est ce que nous allons faire individuellement et plus encore collectivement de ce touchdown, de ce contact soudain avec la réalité et la vérité, de cette prise de conscience brutale des mensonges dans lesquels nous aurons vécu.  

– Comment allons-nous réagir, au moment de ce grand éclatement ?… 

La solution de facilité, comme toujours, serait de trouver immédiatement des boucs émissaires, des coupables : ceux et celles dont nous estimerons – sans avoir complètement tort d’ailleurs – qu’ils nous ont maintenus dans le mensonge, dans l’illusion, dans un univers factice, à mesure que nous découvrirons les vastes conséquences de cette confusion entre la bulle et le réel. 

Ce serait une erreur. Ce serait nous tromper de cible. Surtout, ce serait ne pas comprendre le sens profond de notre incroyable aventure commune. 

Car en réalité, les mensonges qui vont faire éclater notre bulle collective ne diffèrent en rien dans leur nature de ceux que nous nous racontons quotidiennement à nous-mêmes. Ils sont juste d’une taille infiniment plus grande… peut-être justement pour que nous les voyions enfin ! Pour qu’on ne puisse plus nous mentir ni se mentir aussi facilement. 

Par analogie avec les vieilles installations électriques d’autrefois, il était fréquent en branchant une prise de provoquer une étincelle accompagnée d’un grésillement. Cette étincelle et ce grésillement sont de même nature que l’éclair qui déchire le ciel et le tonnerre qui gronde à des kilomètres. C’est juste l’échelle de ces derniers qui est infiniment plus grande. L’échelle, et non la nature.

Aussi brutale (et peut-être douloureuse dans un premier temps) qu’elle risque d’être, l’explosion de notre bulle collective sera un immense cadeau pour l’humanité. Elle nous donnera l’occasion historique, unique dans notre aventure millénaire, d’inscrire au fer rouge en chaque être humain vivant aujourd’hui sur cette Terre de ne plus jamais confondre la carte et le territoire, nos interprétations et la réalité qu’elles déforment, le savoir livresque et la connaissance personnelle, les médias et le monde réel, le mental et le physique, les mots et les choses qu’ils désignent, les ombres bidimensionnelles projetées sur la paroi de la caverne de Platon et les réalités tridimensionnelles qu’elles reflètent, ou encore la Matrix instillée par informatique dans le cerveau des personnages de ce film archétypal et initiatique, et la réalité vraie. 

 

— Mais enfin, diront certains, nous savons bien que ce n’est pas la même chose !

Nombre d’entre nous croient le savoir, en effet, mais ce savoir n’est qu’intellectuel, il n’est pas incarné, pas vécu : preuve en est que chaque jour nos actes le démentent et montrent que la confusion entre les deux est permanente. Que nous sommes toujours dans la bulle et continuons de la croire vraie, parce que c’est plus confortable que d’affronter la réalité. 

Lorsque la bulle éclatera pour de vrai, il deviendra impossible de se mentir plus longtemps. Impossible de confondre le réel et le virtuel. Impossible de se rendormir. 

Une fois qu’on est né, il est impossible de revenir dans le ventre maternel. Le cordon est coupé. Les poumons se sont activés. C’est une nouvelle vie qui débute. Sans retour en arrière possible. 

Ce sera une nouvelle vie dans la vérité. Une nouvelle vie qui remettra en question tout ce qu’on croyait vrai jusqu’ici. Une nouvelle vie qui transformera toutes nos relations : à nous-mêmes, aux autres, à la réalité, à l’information, à la nature, au cosmos, à une dimension de transcendance, à la connaissance. 

Tout sera à redécouvrir et à réinventer. Des pans entiers de connaissances, inaccessibles jusque-là, s’ouvriront à nous et à notre exploration. Toute notre histoire, notre cheminement jusque-là, notre appréhension scientifique de la réalité, ainsi que les technologies qui en sont issues, se révéleront sous un jour totalement nouveau qui remettra complètement en question le sens même de notre existence, ce à quoi nous aspirons, ce vers quoi nous allons. 

C’est pourquoi il nous faut dès maintenant anticiper la leçon inévitable que nous finirons par tirer des bouleversements à venir. 

 

– Et quelle est cette leçon, magistrale et magique à la fois ?… 

Que cette bulle coupée de la réalité, que ces mensonges à une échelle sans précédent étaient indispensables – pas seulement utiles ou nécessaires : indispensables – pour que nous puissions vivre cette initiation collective. Car, oui, c’est bien d’une véritable initiation qu’il s’agit, d’un saut quantique à venir dans la conscience humaine. 

L’initiation n’a rien à voir avec l’éducation. L’éducation dit : le feu brûle. L’initiation nous met la main quelques secondes au-dessus d’une bougie. L’éducation reste au niveau du mental. L’initiation s’inscrit en lettres de feu dans notre corps, notre cœur, notre tête et notre âme.

Le monde d’hier a tout misé sur l’éducation, avec les meilleures intentions du monde, sauf que la vérité ne s’atteint pas par l’éducation mais par l’initiation, par un vécu de première main qui touche l’être tout entier : corps, cœur, mental et esprit. 

Pour vivre cette initiation à la vérité, pour sortir de la bulle mentale que nous confondons avec elle, il fallait que nous soyons immergés dans le mensonge jusqu’au cou, que nous y croyions dur comme fer, que nous soyons absolument convaincus d’être dans le vrai. Il le fallait pour que le choc final, l’éclatement de la bulle, l’impact brutal avec la réalité, avec une vérité qui sera d’abord douloureuse, nous marque à jamais. Il fallait que nous en payions le prix fort. Un prix astronomique en réalité, mais qui – précisément par sa démesure – donnera toute sa valeur à cette initiation, à cette naissance à la vérité, à ce déchirement du cocon de mensonges dans lequel nous aurons vécu.

Cocon : voilà un autre mot magnifique pour décrire cette bulle (ces bulles enchâssées). 

Pourquoi ? 

Parce qu’un cocon sert à quelque chose : il est indispensable à la chenille pour devenir papillon. Oui, cette bête rampante qui dévore les feuilles des arbres doit s’enfermer dans ce qui ressemble à un sarcophage, la tête à l’envers, avant de décomposer. Décomposer ! Tous les liens qui maintenaient ensemble les cellules de la chenille se défont, avant que les cellules dites « imaginales » (merveilleuse appellation !) – qui ne servent à rien dans la chenille – se mettent à réassembler cette bouillie informe en un nouvel être. Et quel être ! Un papillon, un être qui non seulement est d’une beauté et d’une grâce merveilleuses, mais qui est en outre un pollinisateur, jouant un rôle essentiel dans la nature.

Dire de notre bulle qu’elle aussi est un cocon est une autre manière de souligner la même leçon essentielle : l’étape que nous nous apprêtons à dépasser est elle aussi nécessaire, indispensable même, à notre évolution collective. Dans notre bulle, dans le cocon de notre mental où nous aussi, la tête à l’envers, nous avons développé une vision complètement inversée de la réalité, une lente mutation s’est opérée. Nous ne la discernons pas encore. Il faudra d’abord que le cocon se déchire, puis que nos « ailes » sèchent lentement au soleil… Chaque chose en son temps. 

 

Je résume.

La bulle dans laquelle nous vivons va prochainement éclater. Initialement, ce sera un choc brutal pour beaucoup, un retour violent à la réalité, assorti de conséquences douloureuses. Le prix à payer sera très élevé. Mais ce sera aussi et surtout une initiation collective dont la valeur sera à la mesure de ce prix exorbitant. Ce que nous allons gagner là en tant qu’humanité est tout simplement inestimable. 

Le risque, toutefois, est que nous ne le mesurions pas tout de suite. 

Le risque, encore une fois, est la bouc-émissarisation de celles et ceux qui auront joué la part la plus importante – ou tout simplement la plus visible – dans le mensonge qui fera éclater la bulle. Or, d’une part ils auront seulement pratiqué à une échelle beaucoup plus grande ce que nous faisons tous dans notre propre vie : se raconter des histoires, y croire, tisser un cocon de croyances et mensonges autour de soi qu’on finit par confondre avec la réalité ; d’autre part, ils auront joué un rôle essentiel dans la tragi-comédie humaine, sans lequel la transformation profonde, la déchirure finale et l’éclatement brutal de la vérité au grand jour n'auraient jamais été possibles. 

 

– Alors, quand la prochaine bulle éclatera, serons-nous prêts ?

Prêts à accueillir la douloureuse vérité ?

Prêts à en payer le prix ? 

Prêts à accepter le rôle incontournable joué par celles et ceux qu’il serait si tentant d’accuser (le temps que nos ailes sèchent, symboliquement parlant) ? 

Prêts à pardonner, c’est-à-dire à laisser tomber nos jugements, fondés sur une perception partielle, partiale, tronquée et mensongère de la réalité ? 

 

Nous y serons prêts si nous nous y préparons dès maintenant.

Nous y serons prêts si nous le voulons, si nous le choisissons. Si nous décidons, ici et maintenant, de suspendre nos jugements lorsque la déchirure se fera. 

Nous y serons prêts si nous faisons dès aujourd’hui le pari du sens, qui est au fond un acte de foi : avoir confiance que les bouleversements à venir obéissent à un ordre des choses qui nous dépasse infiniment, nous les cellules individuelles de cette humanité qui vivra là une initiation majeure. Par conséquent, oser nous abandonner à ce plus-grand-que-soi à l’œuvre dans le corps collectif de l’humanité, dans notre chrysalide inversée s’apprêtant à devenir papillon. 

Que nous le voyions ou non un jour de nos propres yeux, nous pouvons faire le pari consistant à postuler que tout a un sens, tout a son utilité, même ce qui – du point de vue étriqué et inversé de l’intérieur du cocon – semble contraire au meilleur auquel nous aspirons. Gageons que l’humanité comprendra un jour que tout avait sa raison d’être dans cette métamorphose majeure en cours. 

Lorsque la poche des eaux a éclaté, lorsque le col n’est pas encore pleinement ouvert, lorsque les contractions se font de plus en plus fortes et rapprochées, le bébé ne perçoit aucune issue, no exit, il subit un stress maximal : dans cet espace rétréci et étouffant, comment pourrait-il imaginer l’amour, la tendresse, la chaleur, la lumière, l’espace et tout ce qui l’attend de l’autre côté ?… 

L’humanité actuelle est dans les affres d’un long et douloureux accouchement, c’est certain. Mais ayons foi que ce à quoi elle s’apprête à naître rachètera rétrospectivement tout ce qu’elle traverse actuellement. 

– Olivier Clerc