YouTube, Facebook et les autodafés modernes

· L'Esprit en Eveil

Imaginez la scène suivante : des policiers ou des soldats pénètrent dans la libraire principale de votre ville. Ils examinent tous les rayons dont ils prélèvent brutalement des dizaines de titres qu’ils jugent hérétiques, sous le regard impuissant du libraire, avant d’aller les jeter sur la grand place et les brûler en public. 

Que ressentiriez-vous ? 

Comment réagiriez-vous ?…

De tels autodafés (littéralement : actes de foi) appartiennent heureusement au passé, qu’il soit proche (les nazis) ou lointain (l’Inquisition), n’est-ce pas ? Cela ne saurait se produire aujourd’hui, ne pensez-vous pas ?

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En réalité, non : ils existent toujours, sauf qu’ils ont pris une forme moderne que beaucoup ne reconnaissent pas, même si le comportement reste le même.

Désormais, ce ne sont plus des livres (ou leurs auteurs) qui sont brûlés en place publique, ce sont des contenus qui sont retirés de ces agoras modernes que sont Facebook et YouTube… et leurs auteurs « grillés » : non seulement leurs propos sont interdits de diffusion, mais on les prive aussi de l’audience (followers) qu’ils avaient accumulée et croyaient à tort détenir.

Dans le principe, ces retraits sont aussi graves que la mise à feu de livres en place publique. Ils devraient donc susciter la même opposition unanime et la même indignation qu’un autodafé à l’ancienne. 

Mais est-ce le cas ?

Nous avons tous appris cette citation de Voltaire sur les bancs de l’école : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » Visiblement, elle a fait long feu… si j’ose dire. 

« Oui, rétorquent certains, mais ces contenus sur Facebook et YouTube sont mensongers, complotistes, et induisent les gens en erreur. » Admettons. Mais ne trouve-t-on pas la même dose de mensonges, de manipulations, de semi-vérités ou de vérités approximatives dans chaque librairie, chaque bibliothèque ? Faut-il alors recommencer à brûler des livres ? 

Et surtout : développe-t-on le discernement individuel et collectif en détruisant les sources d’information prétendument non fiables, mensongères, fallacieuses ? 

Aucunement. 

Le discernement ne s’acquiert qu’en l’exerçant, c’est-à-dire en se confrontant à diverses sources d’information et en apprenant à détecter celles qui sont fiables ou non, de quelque bord qu’elles soient. Ce n’est pas en détruisant l’information qu’on formera une société intelligente, mais bien en lui faisant acquérir les moyens d’en faire le tri. C’est ce à quoi nous invitait Noam Chomsky lorsqu’il disait : « Si nous avions un véritable système d’éducation, ce serait un cours d’autodéfense intellectuelle ». On en est loin… 

Un adage japonais dit : « Lorsqu’on a mal aux pieds, on a le choix entre recouvrir toute la terre de cuir… ou porter des chaussures. » Vouloir détruire toutes les informations jugées mensongères revient à vouloir tapisser la terre de cuir, c’est-à-dire à infantiliser les gens, à les maintenir dans la vulnérabilité, dans l’incapacité de développer leurs propres critères, leur intelligence, leur discernement, leur système immunitaire intellectuel. 

Aujourd’hui, on retire des contenus en ligne. Demain, à défaut de brûler à nouveau des livres, va-t-on instaurer une commission chargée de dire ce qui peut être dit, écrit, diffusé ou non, ce qui est vrai ou pas ?

Une dernière question pour conclure : au fond, qu’est-ce qui est le plus grave ? Que des contenus soient retirés de ces grandes plateformes …ou que cela se fasse dans une telle indifférence ?