C'est aujourd'hui, 14 février, que paraît en français le 2e livre de Charles Eisenstein, "Manifeste pour une Terre vivante", que j'ai eu la joie de préfacer, comme son précédent "Notre coeur sait qu'un monde plus beau est possible".
Eisenstein est sans conteste le philosophe dont je me sens le plus proche aujourd'hui, non seulement au niveau de ses idées – notamment par cette façon qu'il a, influencée par ses 10 ans passées en Asie, de transcender la plupart des dualités pour chercher leur résolution à un niveau supérieur – mais aussi parce que sa philosophie a du coeur, elle a une âme aussi, et elle est résolument orientée vers des transformations concrètes, pratiques. Tout sauf de la vaine et stérile spéculation intellectuelle.
Plutôt que de me paraphraser, je reproduis ci-dessous la préface que j'ai écrite pour ce titre. Vous y découvrirez pourquoi je souhaite que ce livre (comme le précédent) soit lu par le plus grand nombre de lectrices et lecteurs possibles !
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Préface d'Olivier Clerc
- Encore un livre sur le climat ?...
C’est la question que pourraient légitimement se poser certains d’entre vous, vu le nombre de livres, mais aussi d’articles ou de congrès consacrés à cette thématique.
Sauf que celui-ci n’est comparable à aucun autre : il est véritablement unique en son genre, parce qu’il met en évidence la cause profonde du dérèglement climatique, qui n’est probablement pas celle que vous imaginez…
Son auteur, Charles Eisenstein – dont j’ai déjà eu la joie et l’honneur de faire publier l’un des livres en français[1] – est à mes yeux l’un des philosophes de tout premier ordre de notre époque, dont la pensée non-dualiste éclaire le tronc commun de la plupart des maux dont souffre notre époque. Tous les livres qu’il a publiés à ce jour, sur des sujets aussi variés que l’économie, le covid ou l’alimentation, ont un point fondamental en commun : ils dépassent les clivages classiques propres au thème spécifique qu’il aborde (comme ici, le climat) pour aller chercher ce qui les réunit derrière leurs oppositions de surface, car c’est seulement à ce niveau-là qu’un vrai changement peut advenir. Or ce qui les réunit à leur insu, ce sur quoi s’appuient sans le savoir à la fois les « pour » et les « contre » de chacune de nos problématiques contemporaines, c’est une même histoire, un même récit fondateur qui sous-tend à la fois notre manière de comprendre chaque problématique, et la façon dont nous essayons de la résoudre.
Cette histoire propre à la civilisation moderne, Charles Eisenstein la nomme l’histoire de la séparation. Elle se caractérise dans tous les domaines par une « pensée de guerre », de dualité conflictuelle. En effet, la guerre n’est pas qu’une affaire politique : on la retrouve en économie (écraser la concurrence), dans le sport (battre ses adversaires), en médecine (combattre virus et microbes), au niveau social (guerre contre la drogue), en agriculture (lutter contre les nuisibles)… et, paradoxe absolu, jusque dans la spiritualité elle-même (combattre l’ego). Qu’elles soient d’un bord ou de l’autre, toutes les solutions issues de cette histoire de la séparation – qu’il s’agisse de préserver sa santé, l’environnement ou la paix – ne font au final qu’entretenir cette mentalité de guerre, et par conséquent aggravent les maux et conflits qui en résultent. Malgré tous les moyens employés depuis des décennies, dans chacun de ces domaines, la situation n'a fait qu’empirer. En matière environnementale, en particulier, puisque c’est le sujet de ce livre, tous les efforts entrepris depuis des décennies n’ont pas empêché la dégradation de la nature de s’accroître toujours davantage. C’est donc que quelque chose cloche fondamentalement dans la manière dont nous nous y prenons.
Le véritable changement auquel nous aspirons tous exige en fait que nous changions de récit fondateur. L’histoire de l’inter-être, que développe ici Charles Eisenstein, comme dans ses autres titres, doit remplacer celle de la séparation si nous voulons que notre façon de comprendre qui nous sommes, comment fonctionne l’univers dont nous sommes partie prenante, les causes réelles de la crise généralisée que nous traversons, débouche enfin sur des solutions permettant réellement d’y remédier.
De façon métaphorique, l’histoire fondamentale qui sous-tend notre civilisation est comme le champ magnétique invisible créé par un aimant sous une plaque de métal, et révélé par de la limaille de fer saupoudrée à sa surface. Toute tentative de modifier le dessin apparent de la limaille échouera tant que l’aimant restera positionné au même endroit, son champ invisible ramenant sans cesse les particules de métal à la même place. Pour qu’un véritable changement intervienne, il faut éloigner l’aimant ou en modifier l’écartement des pôles, c’est-à-dire agir sur la cause profonde, cachée.
C’est donc une approche totalement inédite et novatrice du climat – et bien davantage ! – que vous allez découvrir dans ces pages. Oui, c’est véritablement un nouveau regard que pose Charles Eisenstein sur cette question cruciale, en nous proposant de la revisiter à partir d’une nouvelle histoire.
L’histoire actuelle, celle de la séparation, nous rend pessimistes, impuissants, voire désespérés. Les petits gestes écolos du quotidien paraissent tellement dérisoires face à l’ampleur des catastrophes qui se profilent chaque jour davantage à l’horizon… L’avenir semble aux seules mains des politiques et des multinationales, auxquelles nous n’accordons plus aucune confiance pour inverser la tendance actuelle.
Tout au contraire, l’histoire de l’inter-être – que soutiennent aussi bien les découvertes de pointe de certaines sciences (à commencer par la physique quantique) que les récits et pratiques de nombreuses populations autochtones (comme les Kogis, par exemple) – met en évidence que tout étant relié, rien de ce que nous faisons ne reste sans effet, les moindres de nos gestes et même de nos pensées comptent et sont agissants bien au-delà de ce que nous imaginons. Cette histoire nous ouvre de nouvelles perspectives, elle est porteuse d’espoir, et surtout elle nous permet de nous réapproprier ces trésors dont nous a privés depuis trop longtemps l’ancienne, à savoir l’amour, la beauté et le sacré.
Un petit avertissement, ou un conseil amical si vous préférez, me semble de mise ici. Le changement auquel nous convie la philosophie de Charles Eisenstein est tellement profond, puisqu’il touche à la pensée même qui traverse tout notre mode de vie moderne, qu’il exige plusieurs lectures successives de ce livre, espacées de temps de digestion et de mise en pratique. Il exige patience et ténacité …ainsi qu’une bonne dose d’indulgence pour toutes les fois où, immanquablement, nous retomberons dans les vieilles façons de penser et d’agir dont nous sommes pétris jusqu’à la moelle.
Pour ma part, cela fait vingt-six ans que je parcours ce chemin, depuis une révélation que j’avais eue en 1998 au bord du lac de Neuchâtel, qui contenait sous forme poético-mystique la même idée de base qui parcourt l’œuvre de Charles Eisenstein. Et malgré le chemin déjà parcouru, je surprends encore le flot de mes pensées prêt à retourner dans le lit de l’ancienne rivière, de la vieille histoire dualiste, avec ses soi-disant « guerriers de lumière » et ses combats à livrer contre des boucs émissaires tout trouvés ! Il faut du temps pour creuser un nouveau sillon, et peut-être plus encore avant que l’ancien ne s’efface progressivement. Un changement de paradigme – c’est-à-dire justement un changement d’histoire – ne se fait pas du jour au lendemain. Peut-être y faudra-t-il quelques générations, d’ailleurs. Peu importe : l’essentiel est de l’amorcer nous-mêmes, ce que vous pouvez faire dès aujourd’hui si, comme moi, cette nouvelle histoire vous fait vibrer jusqu’au cœur même de votre être !
[1] Ce monde plus beau que notre cœur sait possible, Ch. Eisenstein, Editions Jouvence, 2020.
Le site dédié du livre : https://www.climat.blog
